Montreal, Quebec, Canada
En complément de la série d’articles de Covid-19 publiés sur l’éducation et l’enseignement en temps de pandémie, j’interviewerai aujourd’hui Marie-Jean, professeure de francisation à l’école Centre Saint-Louis à Montréal, Québec, Canada.
Judivan Vieira : Quelles sont les exigences imposées par le Canada pour être enseignant et depuis combien de temps exercez-vous la profession?
Marie-Jean : Tout d’abord, je dois vous expliquer que le Canada est une fédération et que l’éducation est de compétence provinciale; c’est-à-dire que chaque province possède son propre système scolaire.
Au Québec, les enseignants (au primaire, au secondaire, en formation professionnelle ou en francisation) doivent posséder un baccalauréat en enseignement. Pour obtenir ce diplôme, il faut étudier pendant quatre ans à l’université dans le domaine qui nous intéresse et faire de nombreux cours de pédagogie.
Pour ma part, j’en suis à ma 34ème année d’enseignement. J’ai eu la chance d’exercer ma profession au Nouveau-Brunswick pendant deux ans et un autre deux ans en Pologne où nous formions de futurs enseignants de langue (français, anglais ou allemand).
Judivan Vieira : Qu’est-ce qu’un cours de francisation ?
Marie-Jean : Les cours de francisation ont pour but d’enseigner le français à des réfugiés, des immigrants ou des Canadiens anglais installés au Québec pour qu’ils puissent intégrer le marché du travail, poursuivre des études ou tout simplement s’intégrer à la société québécoise.
Judivan Vieira : Pourquoi avoir choisi d’être professeur de francisation ?
Marie-Jean : À la base, j’ai étudié pour enseigner l’histoire au secondaire. Au Nouveau-Brunswick, où j’ai commencé ma carrière, je devais enseigner l’histoire ainsi que le français à de jeunes anglophones. Je me suis donc spécialisée en français.
Lorsque je suis revenue au Québec, j’ai postulé pour un poste en histoire au secondaire, mais on m’a offert un contrat en francisation car il y avait un grand manque d’enseignants dans ce domaine. Je dirais donc que je n’ai pas choisi la francisation, mais que c’est un concours de circonstances qui m’y a amené. Je dois dire que j’en suis très contente car j’ai adoré toutes ces années passées à enseigner et à faire aimer la langue française. Comme on ne peut pas enseigner une langue sans enseigner la culture qu’elle véhicule, c’est parfait pour moi.
Judivan Vieira : Pouvez-vous dire quelles provinces canadiennes adoptent le cours de francisation ?
Marie-Jean : Le Canada étant un pays officiellement bilingue, l’enseignement du français ou de l’anglais comme langue seconde est obligatoire au primaire ou au secondaire dans toutes les provinces. Comme nous acceptons un grand nombre d’immigrants et de réfugiés chaque année, toutes les provinces se doivent d’enseigner la langue officielle de la province. Je dois préciser que si le Canada est un pays bilingue, il n’en va pas de même pour les provinces qui sont toutes unilingues (anglais) excepté le Québec qui est unilingue (français) et le Nouveau-Brunswick qui est la seule province bilingue.
Judivan Vieira : A quel public s’adresse le cours de francisation et quelles matières sont enseignées? Le cours est-il obligatoire pour toute personne venant vivre au Canada?
Marie-Jean : Le programme de francisation s’adresse principalement aux adultes de 18 ans et plus. On leur enseigne uniquement la langue et bien sûr on y parle aussi de notre culture pour favoriser leur intégration.
Pour les jeunes allophones entre 16 et 20 ans qui arrivent ici et qui n’ont pas de diplôme d’études secondaires, on leur offre un programme de « Français de transition ». Ils étudient principalement le français ainsi que quelques matières qui leur permettront d’intégrer les cours réguliers aux adultes afin d’obtenir leur diplôme. Voici ce qu’en dit la Cssdm : « Le programme d’études Français de transition s’adresse aux jeunes immigrants âgés de 16 à 20 ans dont la maîtrise du français est insuffisante pour leur permettre de poursuivre leur scolarisation de niveau secondaire. Diverses connaissances et compétences sont acquises : communications orale et écrites, connaissances sur la langue, connaissances générales sur les sociétés québécoise et canadienne. »
Pour les autres enfants, on les met dans une classe d’accueil où ils apprennent principalement le français. Ils y restent en général un an (ou deux si c’est nécessaire) et ils intègrent ensuite le système régulier mais généralement avec une année de retard sur les jeunes Québécois.
Judivan Vieira : Le programme du cours de francisation est-il établi par le gouvernement provincial ou est-ce une détermination du gouvernement central ?
Marie-Jean : Comme l’éducation est de prérogative provinciale, c’est le gouvernement du Québec qui en établit le programme.
Judivan Vieira : Pouvez-vous dire si les provinces qui adoptent l’anglais recommandent également un cours d’acculturation à la langue anglaise ?
Marie-Jean : Oui, les provinces anglophones offrent un programme similaire à celui du Québec.
Judivan Vieira : Combien y a-t-il d’écoles de francisation à Montréal et quels résultats peut-on signaler par rapport aux élèves qui ont suivi le cours, dans la société québécoise?
Marie-Jean : Je ne saurais dire combien il y a de centres de francisation à Montréal car plusieurs Centres de services scolaires offrent de tels cours ainsi que le MIFI (Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration), tout comme de nombreux centres communautaires.
Il est très difficile de faire un suivi car rares sont les adultes qui commencent au niveau 1 et qui se rendent au niveau 8. Pour différentes raisons (famille, travail, études, déménagement…), ils quittent généralement les centres après quelques sessions.
Judivan Vieira : Dans quelle mesure la pandémie de Covid-19 a-t-elle affecté les classes ? Était-il nécessaire d’adopter le système de classe en ligne ou hybride ?
Marie-Jean : Lors de la première vague de la pandémie (mars 2020), le gouvernement a fermé toutes les écoles, y compris les cégeps et les universités. Tous les centres de francisations se sont donc retrouvés à donner leurs cours en ligne jusqu’en septembre.
Plusieurs étudiants ont abandonné car apprendre une langue derrière un écran n’était vraiment pas l’idéal, sans compter que plusieurs enseignants, moi la première, n’avaient pas les compétences nécessaires en informatique ni le matériel adéquat (ordinateur performant, numériseur, écouteurs, bureau ou lieu tranquille) pour donner 4 heures de cours quotidiennement.
De plus, personne ne connaissait la plateforme Teams que nous devions utiliser et nous avons donc dû suivre plusieurs formations en ligne pour apprendre à la maitriser.
Plusieurs de nos élèves n’avaient pas d’ordinateur et certains autres ne connaissaient pas suffisamment l’informatique pour continuer leur apprentissage de la langue.
À l’automne 2020, les centres ont rouvert tout en gardant une journée en ligne au cas où le gouvernement déciderait de fermer les écoles ou en cas d’éclosion majeure dans une classe ou une école.
Il était probablement nécessaire de fermer les écoles ou de faire des cours hybrides pour limiter la propagation de la pandémie. Cela a été très difficile pour le moral des professeurs et des étudiants, surtout pour ceux qui vivaient seuls ou qui étaient fragiles psychologiquement.
Judivan Vieira : Dans votre analyse, l’efficacité de la salle de classe ou du système de cours en ligne est-elle plus efficace ?
Marie-Jean : Selon moi, il ne fait aucun doute que la salle de classe est le lieu idéal pour un enseignement efficace du français. Avoir une journée en ligne par semaine (ce qui va probablement rester, même après la pandémie) peut permettre aux élèves de travailler à leur propre rythme (rédaction, lecture, recherche), mais cela atteint vite sa limite. En classe, nous pouvons corriger la prononciation, voir dans les yeux des élèves s’ils ont compris et expliquer plus facilement la grammaire avec l’utilisation du tableau.
Je ne serais jamais devenue enseignante si on m’avait dit que je passerais mes journées devant un écran. J’ai besoin de créer des liens avec mes élèves, de les voir progresser et de leur faire aimer cette langue qu’ils utiliseront au quotidien et qui leur permettra de prendre leur place dans la société québécoise.
Photo d’archives personnelles.
Photo d’archives personnelles.
Camila Vieira(gauche), enseignante Marie-Jean(centre)